Que reste-t-il du 21 avril 2002 ?

“Imaginez juste une minute, Monsieur le Premier Ministre, Monsieur le candidat, que vous ne soyez pas au second tour.

 

– Oui

 

– Vous votez pour qui ?

 

Éclats de rire de Lionel Jospin.

 

– Non, j’ai une imagination normale, mais tempérée par la raison quand même, donc…

 

– C’est impossible ?

 

– Impossible, ne disons pas ça mais ça me paraît assez peu vraisemblable, hein ? Bon, donc on peut passer à la question suivante peut-être ?”

 

Interview de Lionel Jospin, le 17 avril 2002 par John Paul Le Perse pour le Vrai journal de Karl Zéro.

 

La suite nous la connaissons tous, quatre jours plus tard, Lionel Jospin finit en troisième position du premier tour de l’élection présidentielle derrière Jean-Marie Le Pen. Ce fût un séisme politique et médiatique sans précédent dans l’histoire de la Vème République.

 

Séisme imprévisible ? Le 18 avril 2002, face au même journaliste que Lionel Jospin, Jean-Marie Le Pen affiche sa confiance, pour lui tout se jouera entre 17 et 18%, et sans doute à la décimale près pour le départager de Lionel Jospin. Avec 16,86% des suffrages exprimés pour l’un et 16,18 pour l’autre difficile de lui donner tort.

 

Jospin fût-il sanctionné pour son action en tant que Premier Ministre ? Difficile de le croire. Quatre ans après son arrivée, en octobre 2001 le baromètre TNS Sofres (Qui depuis 1978 mesure avec la même méthodologie la popularité des Présidents et des Premier Ministre) lui donne encore 59% d’opinions favorables. Jamais un Premier Ministre n’avait atteint ce score après un si long séjour à Matignon.

 

Entre 1997 et 2001 la croissance fût en moyenne de 3%, du jamais vu depuis la fin des Trente Glorieuses, le chômage reflua de 800 000 personnes et le commerce extérieur redevint excédentaire. De quoi faire baver d’envie les dirigeants actuels.

 

Comment expliquer cet échec ?

 

Forts de leur bilan, les différentes composantes de la Gauche Plurielle ont toutes voulu défendre leurs intérêts et peser sur le programme de Lionel Jospin pour son quinquennat à venir. Ainsi ce sont cinq candidats issus des partis de la Gauche Plurielle qui sont présents au premier tour de la Présidentielle.

 

À eux cinq ils ont obtenu 32,45%, soit un score excellent pour un pouvoir sortant. Il aurait suffi qu’un seul des quatre renonce pour assurer la victoire de Lionel Jospin. Le 21 avril fût d’abord le fruit d’une erreur stratégique majeure.

 

La campagne a également été dominée par les sujets sur l’insécurité, Jacques Chirac ne pouvant attaquer le bilan économique, choisit ce cheval de bataille. Sur TF1, entre le 1er et le 18 avril 2002 ce sont 55 sujets (à 95% avec une tonalité négative) qui furent consacrés à l’insécurité dans les JT.

 

Jospin n’a pas voulu aborder ce sujet outre-mesure et a continué de parler de son programme économique, or puisque l’économie allait bien les Français ne s’en préoccupaient pas et attendaient des réponses sur d’autres sujets. Le 21 avril fût aussi une erreur tactique de la part de Lionel Jospin qui n’a pas fait la campagne qui s’imposait.

 

Après cette catastrophe, la gauche se ressaisit et le concept de “vote utile” émergea, pleinement opérationnel en 2007 il permit à Ségolène Royal de faire plus de 25% des suffrages exprimés quand Les Verts et le PCF sombraient sous les 2%.

 

En 2012 la crainte d’un 21 avril s’est dissipée, à gauche tout le monde mesure le rejet de Nicolas Sarkozy, et François Hollande plane dans les sondages entre 28 et 30%, largement en tête pour le premier tour. Cette dissipation de la crainte conduit de nombreux électeurs de gauche à ne pas voter directement pour le PS au premier tour mais à suivre leurs convictions en votant Mélenchon qui obtient 11% des suffrages.

 

Et pour 2017 ?

 

À gauche sans nul doute le naturel est de retour et les candidatures seront multiples mais pas pour les mêmes raison qu’en 2002. Au vu de la défaite annoncée de François Hollande, chaque composante de la gauche va chercher à marquer des points pour peser sur la recomposition future de la gauche. De plus certains préféreraient sans doute contribuer à la défaite de François Hollande qu’à sa réélection.

 

Quant à la peur d’un 21 avril elle a totalement disparu. Le choc du 21 avril venait en grande partie de la surprise d’une qualification de Jean-Marie Le Pen que personne n’avait anticipé, l’an prochain la véritable surprise viendrait sans doute de la non-qualification de Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle.

 

Un autre élément a également été intégré par les Français : le résultat du second tour en 2002. La défaite de Jean-Marie Le Pen a été cuisante, aucune progression entre les deux tours, un vote sans hésitation des électeurs de gauche pour Jacques Chirac malgré les procédures judiciaires contre lui. Tout laisse à penser que ce même scénario pourrait se répéter l’an prochain.

 

Aussi du 21 avril 2002 il reste un fait historique marquant, des expressions qui sont passées dans le langage populaire “vivre un 21 avril”, “un 21 avril à l’envers” mais l’épouvantail politique lui, est bel et bien mort.

 

 

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